Posted on: 26 mai 2020 Posted by: adminim Comments: 0
Le monde des corps de Gunther Von Hagens

Dissections : Un peu d'histoire…

De l’Antiquité au Moyen Age, les dissections étaient prohibées en raison des croyances religieuses.
A cette époque le corps et l’âme ne faisait qu’un et ouvrir un cadavre revenait à profaner le réceptacle de l’âme.
La science progresse mais les mentalités et les croyances évoluent peu.
Si les dépouilles humaines furent de tout temps conservées, plus ou moins longuement, la volonté de préparer les cadavres à des fins didactiques est relativement récente. Certes, les écrits d’Hippocrate et d’Aristote, quatre siècles avant l’ère chrétienne, montrent que la dissection d’animaux est une pratique privilégiée pour acquérir des connaissances anatomiques. Mais le corps humain reste inviolable.
Dès le 15ème siècle, les connaissances en matière d’anatomie s’affinent mais restent clandestines.
Bien que la dissection soit toujours prohibée, les médecins obtiennent de pouvoir utiliser les cadavres de suppliciés ou de condamnés afin d’améliorer leurs connaissances du corps humain.
Ils n’étaient pas rare à l’époque qu’à la tombée de la nuit, les apprentis médecins subtilisent des corps dans les fosses communes ou les morgues pour approfondir leurs études du corps humain. Ces premières anatomistes travaillaient dans le plus grand secret, le plus souvent dans des caves faiblement éclairées.
Les première planches anatomique voient le jour, mais il faudra attendre la Renaissance pour que l’esprit scientifique, encore balbutiant, rende acceptable l’idée de préparer des corps humains et pour que André Vésale, médecin Belge, ouvre les portes de cette nouvelle Science.
Les plastinations de Von Hagens s’inscrivent dans la filiation directe des travaux de la Renaissance qui mêlent alors art et science.
Autorisées, les dissections permettent une progression considérable des connaissances anatomiques.
En 1993, un homme fait don de son corps à la science, il est découpé en 1 800 lamelles d’à peine 1 millimètre d’épaisseur, qui ont été photographiées et enregistrées dans un ordinateur. Résultat : un homme en trois dimension « l’homme transparent », qui permet de voir l’anatomie humaine comme on ne l’avait encore jamais vue auparavant.

Quand le morbide devient Art…

Le monde des corps - Gunther Von Hagens
Le monde des corps - Exposition
Le monde des corps - Gunther Von Hagens

Cela fait de nombreuses décennies que la mort est source d’inspiration pour les artistes.
Damien Hirst s’inscrit dans cette tendance très en vogue en nous montrant des animaux morts conservés dans différents matériaux.
L’une de ses œuvres les plus connues est sans aucun doute une vache coupée en deux, avec un veau dans son ventre, conservé dans un bloc de résine translucide, le tout exposé sous l’œil avertis du spectateur. Une autre, tout aussi percutante, est composée de papillons englués vivants dans des taches de peinture.
Dans le même registre, citons notamment la photographe Diana Michener qui commença par photographier des vaches dans les abattoirs londoniens avant de s’attaquer aux corps humains dans les morgues et de réaliser des clichés de nouveau-nés morts conservés dans du formol.
Toujours plus loin dans l’horreur, le Dr Gunther Von Hagens expose des corps humains conservés intactes grâce à un procédé de plastination qu’il a lui même mis au point.
Inodores, plus de deux cent cadavres que l’anatomiste allemand a ouvert, tronçonnés et conservés attendent le regard du public….regard qui se veut à la fois choqué, curieux, dégoûté mais regard qui va au bout de l’exposition quoiqu’il arrive…

Le Professeur Gunther Von Hagens

Gunther Von Hagens

Né en 1945 dans une petite ville de Thuringe, en Allemagne de l’Est, Gunther von Hagens fut durant sa jeunesse un militant zélé du Parti socialiste unifié. L’entrée des chars soviétiques à Prague en août 1968 lui fait virer sa cuti. Il tente de passer à l’Ouest, mais échoue. Après deux ans dans les prisons du régime communiste, il est racheté avec un lot d’autres dissidents, en 1970, par la République fédérale. Il entreprend alors des études de médecine à l’université de Heidelberg.
Son diplôme en poche, il décide de se spécialiser en anatomie et met au point, en 1974, un procédé qu’il baptise « plastination ».
Il s’agit de retirer sous vide l’eau et la graisse des tissus et de les remplacer par du caoutchouc au silicone ou de la résine époxy. Les corps entiers ou les organes gardent ainsi leur plasticité, sont inodores et se conservent pour l’éternité. Le principe est simple, la réalisation plus délicate, qui nécessite pour un corps entier plus de 1 000 heures de travail. Débarrassé de sa peau, celui-ci est littéralement « écorché mort ».
Il apparaît dans toute sa complexité musculaire, veineuse et artérielle, ou encore viscérale.
Mais Von Hagens va plus loin. « Je refuse de ne présenter que des poupées mortes », explique-t-il. Substituant le scalpel au burin, il dédouble os et masse musculaire, fait jouer les articulations, ouvre les ventres et recompose des attitudes. Ici, une baigneuse nage le crawl. Là, un homme fait son jogging pendant qu’un autre joue aux échecs. Une femme enceinte, le ventre ouvert, laisse entrevoir son fœtus. Une fabuleuse statue équestre est la pièce centrale de l’exposition : tel un spectre, un cavalier, qu’un gigantesque coup de sabre aurait tranché en deux de la tête au pied, monte la montagne de muscles et de tendons dénudés d’un puissant destrier et l’enflamme en lui présentant son cerveau dans sa main droite tendue. C’est le roi des Aulnes que Goethe faisait chevaucher « à travers la nuit et le vent ». « Je n’ai ni formation ni ambition artistique, affirme Gunther von Hagens. Je désire simplement parvenir à une présentation parfaite destinée à faire comprendre combien nous sommes des êtres fragiles ». Une intention si bien perçue par nombre de visiteurs que certains acceptent l’idée de confier leur corps après leur mort à l’Institut de Plastination de Heidelberg. Gunther von Hagens affirme avoir déjà reçu 121 cadavres et 4 000 promesses de dons. C’est le pari de ce Pascal du XXIe siècle : entre l’immortalité de l’âme et celle du corps, pourquoi ne pas opter pour la seconde solution ? « Je ne suis qu’un anatomiste, s’excuse Von Hagens, ce n’est pas à moi de répondre à cette question. »
Pour Günther Von Hagens et son épouse, le Dr Angelina Whalley, co-fondateurs de l’Institut de plastination de Heidelberg, leur démarche qui leur fait écorcher, couper en rondelles, en lamelles, et finalement mettre en scène des corps accédant ainsi à l’incongruité d’une renaissance dans la mort, se situe dans le droit fil de l’histoire de l’anatomie. « La plastination permet de redonner vie à cette fascinante idée d’une symbiose entre l’art et l’anatomie. Elle stoppe la décomposition et la dessiccation si parfaitement que l’anatomie humaine conserve son esthétique intrinsèque », justifient les sculpteurs de cadavres exquis dans une brochure expliquant leur démarche aux futurs donneurs de leur corps à la plastination.

L'exposition "Le monde des corps".

Le monde des corps - Exposition

C’est aux abattoirs de Bruxelles que se tenait l’exposition « Körperwelten » que l’on traduit littéralement par « le monde des corps » (la fascination du réel) de Gunther Von Hagens.

De Tokyo à Bâle en passant par Berlin ou Cologne, l’exposition, très controversée, a tout de même attiré plus de 7 millions de visiteurs.
L’exposition « Art Anatomique » du Pr Von Hagens s’inscrit dans une tradition, la bouscule et en même temps affiche haut et fort sa modernité de par les procédés techniques mis au point pour conserver, présenter le corps.
Fort de ce lifting poussé, le corps humain, en nouvelle star, peut quitter les facultés de médecine, les morgues et autres lieux qui leur sont dédié, pour s’offrir sous les feux des projecteurs, au regard ébahi du public. Le corps se révèle, la mort devient beauté, la mort devient art.
« Tout est Art » affirmait Joesph Beuys, c’est avec cette même certitude que le Professeur Gunther Von Hagens n’a pas hésité à créer un nouveau concept dans l’art actuel : l’exposition de corps humains plastifiés, c’est à dire conservés dans l’état qu’ils étaient au moment de leur décès.

Qu'est ce que la plastination ?

Gunther Von Hagens et Angelina Whalley
Gunther Von Hagens et Angelina Whalley

Cette technique a été mise au point en 1977 par le professeur Gunther Von Hagens.

La plastination, comparable à la momification ou à l’embaumement des corps, permet de conserver indéfiniment un cadavre en durcissant ses tissus par l’imprégnation de substances chimiques appelées polymères. Cette méthode permet de préserver de toute dégradation n’importe quel organe, cœur, poumons, intestins, foie et même des corps entiers.
Secs, imputrescibles, sans odeur et non toxiques, ces corps peuvent être manipulés sans aucun mesure d’hygiène particulière, ce qui s’avère très utile pour les facultés de médecine.
La plastination s’opère en 4 étapes, cela consiste à remplacer l’eau et la graisse qui composent les tissus de notre corps par du silicone :

– Les corps sont d’abord immergés dans une solution de formol. Le formol se fixe sur les tissus cutanés.
– Ils sont ensuite placés dans des bains glacés (environs -25°C ) d’acétone pendant, au minimum, 15 jours. Cela permet la déshydratation complète du corps.
– Les corps sont immergés dans le silicone afin que le silicone prenne la place des liquides et graisses organiques.
– On fixe le silicone à l’aide d’un gaz durcisseur

Ce procédé n’altère ni la forme, ni les couleurs des os et des tissus. Après environs 500 heures de préparation, les corps apparaissent secs et propre : « ils doivent être si beaux et si fascinants que personne ne puisse en être choqué » Von Hagens.
Ce n’est pourtant pas le cas de ces cadavres pour qu’ils soulevèrent une enorme polémique.
Depuis l’invention de la plastination, er la création d’un programme de don en 1985, près de 4000 personnes ont donné leur corps à l’Institut de plastination dont un tiers avaient donné leur accord pour l’exposition de leur corps.

La polémique autour de l'exposition "Le monde des corps"

Polémique le monde des corps - Gunther von Hagens

De prime abord on comprend mal pourquoi une exposition d’art anatomique peut soulever un tel scandale dans de nombreux pays.
Lancée en 1997, cette exposition n’en finit pas d’attirer les foules. Elle triomphe en Allemagne (800 000 visiteurs) au Japon (2 millions et demi de visiteurs) et établit un record national d’entrée en Autriche.
Malgré ce succès incontestable, l’exposition soulève de fortes polémiques.
Dans un pays tel que le Japon, où le corps doit traditionnellement disparaître pour permettre à l’âme de s’élever, l’exposition crée un vrai choc culturel et transgresse les tabou séculaire.
En Allemagne, les Eglises ont essayé d’interdire l’exposition au nom du respect des morts mais n’ont pas trouvé d’arguments juridiques suffisants.
La mise en scène des corps donne une autre dimension à cette exposition que celle de la biologie et de la science.
Un corps vide côtoie les organes internes qui ont été extraits de son enveloppe. Un autre, rendu transparent, a été découpée en 83 « tranches sérielles ». Un autre encore, dépiauté de haut en bas, porte à bout de bras le volumineux fardeau de sa peau. Descendant crescendo dans l’horreur, on côtoie ensuite un autre corps découpé en deux moitiés longitudinales et offre un panorama interne des organes intitulé « la nageuse », on rencontre également « le coureur », un corps dont les muscles ont été repliés ou dégagés, ce qui lui donne l’allure d’un épouvantail ou encore « le cavalier », juché sur un cheval lui aussi plastiné et délesté de son cerveau.
La visite se poursuit et les visiteurs silencieux entrent dans le « cabinet d’anatomie ». C’est ici que sont réunis les « pires œuvres » du professeur Von Hagens.
Depuis 1995, date de la première sortie des plastinats, ces corps exposés attirent toutes les foudres des médias et de l’opinion publique.
On peut y voir le corps d’une femme allongée et enceinte d’un bébé de huit mois ; un fœtus de six mois posé sur une plaque métallique à côté de l’utérus ; ainsi que des malformations diverses et des blessures infligées sur les corps meurtris qui s’offrent à nous…
Même si l’avis est partagé, la majeure partie des visiteurs trouvent ces « objets » choquant et sacrilèges.
Les journalistes affirment que cela n’a rien à voir avec l’art.

Le but de l'exposition "Le monde des corps"

Le monde des corps - Gunther Von Hagens
Le monde des corps - Gunther Von Hagens
Expo Le monde des corps - Gunther Von Hagens

Cette exposition a pour ambition de sensibiliser le spectateur aux aspects liés à la santé et de lui permettre une meilleure compréhension du corps, non plus par une anatomie théorique, mais grâce à une présentation d’anatomie spectaculaire et sensationnelle, un voyage en trois dimensions grandeur nature à l’intérieur du corps humain.
La vulnérabilité et le caractère éphémère de notre existence corporelle sont mis en lumière par une approche appelée « edu-tainment », mélange d’éducation (« education ») et de divertissement (« entertainment »). Ce caractère à la fois éducatif et divertissant contraste avec la traditionnelle anatomie didactique.
Dans des postures évocatrices de la vie, les figures plastinées de KÖRPERWELTEN transmettent l’illusion du vivant, et par là même une anatomie chargée d’émotions, qui considère l’être humain dans toute son entité.

Expo ou bête de foire ?

Comment expliquer le succès phénoménal de cette exposition en Allemagne (plus de 700.000 visiteurs) et au Japon (1.000.000 d’entrées en 1996) ?
Pourquoi les Eglises et certains partis conservateurs ont-ils si vivement condamné cet étalage équivoque de corps ?
Où finit la médecine, où commence la perversité, où se loge l’art ?
Von Hagens et son équipe pourraient être lassés de répéter constamment les mêmes arguments. Bien au contraire, les qualités sulfureuses de l’affaire sont patiemment commentées et décryptées. Les médias affectueusement complaisants nourrissent d’ailleurs la polémique. On parle de camouflet contre la dignité humaine, d’affront aux valeurs spirituelles du plus grand nombre, de provocation éthique. Qu’en est-il vraiment ?
La plastination permet-elle à l’être humain de devenir « éternel » ?
L’horreur de cette exposition tient t’elle dans l’image ou dans l’objet contemplé, ou bien réside t’elle dans l’œil du spectateur ?
La prise de conscience de son propre corps, n’était-ce pas cela qui nous effrai le plus dans cette exposition ?
Le corps peut-il être un ready made ? A t’on le droit de priver un corps de sa pudeur originelle ?
Exposer un corps humain, est-ce éthiquement possible ?
Si la plastination a un but scientifique, pourquoi étendre cette découverte au domaine de l’art ?
Cela ne va t’il pas répandre des perversions comme le nécrosadisme ou la nécrophilie ?
« Il faut parfois s’empêcher de penser que tous ces corps étaient des être humains », une remarque fondamentale, car l’essentiel du débat porte sur l’exhibition de dépouilles quand des sculptures de silicone auraient le même intérêt pédagogique !

Animal Inside Out

Exposition Animal Inside Out
Exposition Animal Inside Out - Gunther Von Hagens

Le concept de l’exposition « Le monde des corps » a été élargit aux animaux.  On peut y voir l’ensemble de la physiologie animale (squelette,  muscles,  système nerveux…).
Dans cette exposition plus de 100 espèces différentes sont présentés et ont nécessité plus de 1.500 heures de travail pour finaliser le processus de conservation de chaque animal.

Animals inside out - Exposition Gunther Von Hagens

Quand le cinéma s'inspire de Gunther Von Hagens… avec Anatomie et Anatomie 2

Anatomie film
Anatomie 2 film

Le sujet a visiblement inspiré les Allemands, puisqu’ils ont produit un film qui aborde brillamment le sujet dans « Anatomie » réalisé par Stefan Ruzowitzky.
Avec : Franka Potente, Benno Fürmann, Anna Loos, Holger Speckhann, Sebastian Blomberg

Synopsis : Pour Paula, brillante étudiante en médecine, un rêve se réalise. Elle a été sélectionnée pour suivre les cours d’anatomie du très réputé professeur Grombek, à Heidelberg.
Cependant, l’enthousiasme cède vite la place à l’angoisse lorsqu’elle découvre sur la table de la salle de dissection un jeune homme qu’elle a vu vivant la veille encore…
Malgré les menaces et les tentatives d’intimidation, elle décide de mener son enquête et découvre un mystérieux cercle secret dans l’enceinte de la respectable université. Peu à peu, elle approche de ce qui se trame dans l’ombre, mais sa vie est maintenant directement menacée…

Actualités

Gunther Von Hagens n’a pas finit de faire parler de lui, en novembre 2002 il annonce l’organisation d’une autopsie publique. Au programme découpe de cadavre en direct live à Londres! Les réactions polémiques ne tardent pas…

Il est aussi mis en accusation et doit fournir les papiers d’authentification de toutes les dépouilles aux autorités sous peine de sanction judiciaire. Il serait soupçonné de trafic de cadavre…

En 2015, le district du centre de Berlin avait tenté en vain d’empêcher l’ouverture du musée de Gunther von Hagens, jugeant le projet contraire aux lois régionales sur l’inhumation.
Une exposition s’est tenue à Moscou de mars 2021 à janvier 2022.

Retrouvez les prochaines expositions sur https://bodyworlds.com/